L'Orgue
Le R.P. Pionnier, bâtisseur de notre Cathédrale et ses successeurs avaient rêvé d’un orgue qui remplirait de ses sons puissants le grand vaisseau de l’église. Mais la dépense était trop forte pour leur maigre budget.
Le vieil harmonium avait son histoire. Il était le troisième depuis l’existence de l’église. Le premier instrument, quelconque, dut être remplacé par un plus grand vers 1869. Mais en 1890, quand on fut installé dans la Cathédrale actuelle, le besoin se fit sentir d’un instrument plus complet encore. Une loterie permit de se procurer l’harmonium que ceux du commencement de ce siècle dernier ont connu et qui est actuellement à Lifou.
Tant qu’il fut neuf et touché par les doigts habiles des frères, du frère Philomène surtout, il fit bonne figure et ses jeux nombreux et variés facilitaient l’illusion. Mais lorsqu’il eut vieilli, quand même l’artiste, pour lui donner plus de sonorité ouvrait les portes du buffet du haut, on le sentait poussif et on prévoyait qu’il faudrait bientôt remplacer cet instrument qui avait fait son temps.
Puis le P. de Fenoyl partit pour la France en mai 1907 pour raison de santé, mais il nourrissait dans son cœur le secret dessein de profiter de son voyage pour trouver l’argent nécessaire à l’acquisition d’un orgue qui pût suffire aux besoins de la Cathédrale.
Effectivement, les dons particuliers des bienfaiteurs, d’une part ; le produit des nombreuses conférences avec projection qu’il fit en plusieurs villes de France, d’autre part ; et l’appoint de sa fortune personnelle lui permirent de commander à la maison Cavaillé-Coll, l’un des plus renommés facteurs d’orgues, l’instrument que nous possédons et qui de son temps a coûté 15.000 francs. En 1950, les jeux d’orgue à tuyaux avaient augmenté de 4 à 5.000 % ! De nos jours, il faudrait compter 30.000.000 francs !
La Société le Nickel acceptant de transporter gratuitement l’orgue sur l’un de ses voiliers, le 31 janvier 1909, l’Alice en déposait les nombreuses caisses sur le quai de Nouméa.
La tribune
Avant d’installer l’orgue, il fallait lui donner une tribune solide et spacieuse, ce qui était loin d’être le cas de la tribune alors existante.
Cette tribune, bâtie en même temps que l’église, n’avait que 6 m de long sur 2,50 m de large. Elle était soutenue par de puissantes consoles de bois ouvré. Mais peu à peu un affaissement se produisit, qui obligea en 1898 à supporter l’avant de la tribune par deux minces colonnettes de chêne gomme, lesquelles taillées en pans octogonaux ne déparaient en rien la perspective de la tribune.
En même temps que l’orgue, le P. de Fenoyl avait commandé en France une charpente de fer, pour la nouvelle tribune, charpente qui fut elle aussi transportée par l’Alice.
L’ancienne tribune démolie, la nouvelle fut reconstruite par un habile entrepreneur, M. Julienne. Tout est en fer à T, boulonné et scellé. En avant, la pièce principale, qui va d’un mur à l’autre est scellée à ses deux extrémités et repose sur deux robustes colonnes de tamanou. Ces colonnes viennent d’un seul arbre, donné par Mme Pauty (décédée en avril 1923) qui, au prix de mille difficultés, l’apporta avec son attelage à bœufs, du pied du Mont Mou à Païta.
Contre cette pièce principale sont boulonnés une trentaine de fers à T plus petits, dont l’autre extrémité, scellée dans le mur, supporte le parquet de la tribune.
Et ainsi fut préparée dès le commencement de mars 1909, une belle et vaste tribune de 12 m de long sur 5 m de large et 5 m d’élévation au-dessus du sol de l’église. Une balustrade d’acacia la termine. On y avait rajouté un magnifique travail de sculpture, un aigle porte livre, qui sert de pupitre pour les chantres. Cet aigle, sculpté dans le Kohu, vient de la chapelle d’Uro, de l’île des Pins. Il sert de nos jours de lutrin à l’animateur.
Pendant la dernière guerre, la tribune se trouvait tellement chargée de soldats américains que le P. Boileau, pour plus de sécurité, voulut réaliser un projet longtemps désiré : ajouter deux colonnes. M. Maurice Lafleur fit don de deux troncs de tamanou, provenant de la baie du Sud. Les Américains voulurent bien prendre les deux arbres qui n’avaient pas belle apparence. Quelque temps après, ils les rapportaient, transformés en magnifiques colonnes, enveloppées avec soin comme une chose précieuse : « Nous ne savions pas, dirent-ils, que c’était du si beau bois ! »
Le montage fut fait par la maison Russ et Sanuy. Et la tribune put désormais être remplie d’une foule pressée sans aucune crainte pour sa solidité.
Le montage de l’orgue
Disposant d’une solide et vaste tribune, on pouvait maintenant monter l’orgue, c’est-à-dire se débrouiller au milieu de l’amas de caisses apportées par l’Alice. En Europe, un monteur accompagne toujours le nouvel orgue, mais comment faire venir un monteur à 18.000 km de la France ? Heureusement, le P. de Fenoyl avait vu, en France, l’orgue tout monté. Chaque pièce ayant été numérotée, il put, grâce aux indications que le facteur lui avait données, faire office de monteur d’orgue.
L’inauguration de l’orgue
Le 28 avril 1909, à 20h30, la cérémonie commence devant une église absolument comble. Après le chant, sans accompagnement, d’un cantique, Mgr Chanrion entouré de tout le clergé de Nouméa et des environs, suivi de Messieurs les Membres du Comité de l’Église s’avance dans la nef, jusqu’au milieu de l’église, et de là, procède à la bénédiction de l’orgue.
Après le chant des Oraisons, l’orgue, tous jeux dehors, fit retentir la grande marche religieuse, en usage à Sydney, où elle marque toujours l’entrée solennelle du Cardinal.
Et puis, pendant la fin du cantique accompagné avec maestria par l’orgue, le R.P. Pionnier, le véritable bâtisseur de la Cathédrale, montait en chaire pour célébrer le complément de son œuvre Après avoir remercié les généreux donateurs, le R.P. Pionnier a exposé dans un langage très élevé toute la théorie et toute l’histoire de la musique religieuse. Reprenant les idées de St Augustin, qui fut un ami passionné de l’art musical, il a montré comment l’harmonie des chants est par elle-même un hommage à l’ordre infini de la création et de la Providence ; quelles relations profondes unissent les choses du culte divin à celle de la musique, le seul de tous les arts qui doit survivre à l’existence terrestre et garder encore sa raison d’être dans la vie de l’au-delà… mais cet art, pour convenir à nos réunions chrétiennes et ne pas sonner faux dans nos temples, doit éviter toute compromission profane et sensuelle.
Aussi a-t’il été créé cette forme austère, qu’on appelle le plain-chant et qui ne traduit des sentiments humains que les plus nobles et les plus purs. Les Palestrina, Mozart, Beethoven, Gounod et tant d’autres, qui s’intitulaient pieusement des « maîtres de chapelle » ont su respecter dans leurs œuvres cette belle tradition chrétienne. Voilà pourquoi, après la cloche qui parle la première, c’est la voix de l’orgue qui convient le mieux à la sainteté de nos cérémonies.
Orgue et cloches mêleront désormais leurs chants sur nos berceaux et nos cercueils ; elles suivront les fidèles à toutes les grandes étapes de leur vie : le baptême, la première communion, le mariage et la mort.
Description de l’orgue
L’orgue de la Cathédrale sort des ateliers de Cavaillé-Coll. Il était de onze jeux, et avait deux claviers et un pédalier, qui ne possède pas de jeux propres, mais qui peut servir spécialement à jouer les basses des claviers. Ces jeux sont : prestant, flûte harmonique, flûte douce, voix céleste, bourdon, montre, gambe, quinte, octavin, cor de nuit et trompettes.
Il avait huit pédales de combinaison et d’accouplement, 604 tuyaux de bois et métal dont un bourdon de 16 pieds. Sans doute notre orgue aurait pu être plus complet, mais tel qu’il est, il contribue grandement à la beauté des offices religieux.
La tuyauterie de l’orgue est cachée par la montre et le buffet. La montre est constituée par la série de gros tuyaux visibles ; le buffet est un beau meuble de chêne verni. De style ogival, comme notre Cathédrale, il s’harmonise parfaitement avec l’ensemble de l’église. Le seul inconvénient qu’il comporte, c’est qu’il masque complètement la rosace de la façade. Sans être une verrière de prix, cette rosace a sa valeur et puis, elle donnait beaucoup de lumière à l’église. Malheureusement, il n’était pas possible de placer l’orgue à la tribune sans la cacher, et quoiqu’à regret, il a fallu s’y résoudre. Le soufflet de l’orgue a subi de nombreuses transformations. En 1937, un ventilateur électrique a été monté. Depuis 1955 une soufflerie électrique permet de remplir d’air le sommier.
De nos jours, l’orgue compte 17 jeux et un peu moins de 1.000 tuyaux.
Depuis qu’il existe, l’orgue a été tenu par de généreuses jeunes filles que nous ne saurions trop remercier de leur dévouement. À Nouméa, il y a beaucoup de musiciens et de musiciennes amateurs, mais il y en a bien peu qui poussent le dévouement jusqu’à s’astreindre à un service régulier. La liste serait longue à citer.
Plus près de nous, on peut citer Melles Juliette Bernard, Paula Vergès, Marie-Antoinette Tristani, Michèle Audrain. Depuis 1951, M. Yves Berges est titulaire de l’orgue ; M. Roger Boisne est son suppléant.
Il est intéressant de noter que l’allocution prononcée à l’issue de la bénédiction de l’orgue l’a été par M. Jean-Baptiste Fourcassie, président du Comité Paroissial et arrière-grand-père de M. Berges.
L’horloge du clocher
Les clochers de la Cathédrale portaient, en dessous des grandes baies, une sorte d’œil de bœuf qui était destiné à contenir le cadran d’une horloge.
En 1911, on proposa au P. de Fenoyl de payer les frais de l’horloge en faisant une kermesse. L’idée prit corps, fut acceptée et le 18 septembre 1911, avait lieu dans la salle des Fêtes de l’Hôtel de Ville, une brillante kermesse au profit des œuvres de la paroisse en général, mais plus spécialement pour l’acquisition d’une horloge.
M. René Veyret, ancien élève de l’école d’horlogerie de Cluses, se charge de la commande, de l’installation et du réglage de l’horloge.
Sortie des ateliers de Prost Frères à Lorez, en Jura, pays de la bonne horlogerie, notre horloge monumentale par ses dimensions – le bâti des rouages mesure 1,25 m de long – est délicate comme un bijou. L’armature est en bel acier poli, et les roues dentées en bronze de première qualité, d’où leur frottement moelleux, si l’on peut employer ce terme en parlant de métal.
Notre horloge a quatre cadrans : deux sur la façade, à l’Ouest ; un au Nord, un au Sud, regardant le quartier Latin. Ces cadrans sont en cuivre rouge émaillé ; ils mesurent 1,70 m de diamètre (la hauteur d’un homme) et portent des chiffres qui ont 25 cm de longueur.
Sur ces cadrans se meuvent des aiguilles en tôle d’acier. La grande aiguille a 75 cm de long et pèse 675 g ; la petite a 55 cm et pèse 625 g. pour aider à leur déplacement, chacune a un contrepoids : celui de la grande aiguille pèse 1.100 g et celui de la petite 925 g.
Pour sonner les heures, l’horloge emprunte comme timbre la grosse cloche qui pèse 1.100 kilos. Le marteau qui frappe sur la cloche pèse donc 11 kilos.
La force motrice est donnée par des poids de 250 kilos pour la sonnerie, et de 400 kilos pour le mouvement, qui ont un parcours de 12 m dans la tour du baptistère.
On le voit : notre horloge est installée aussi bien que possible. Par surcroît de sécurité, on a renforcé les poutres du plancher qui soutient ces poids lourds : ainsi la sécurité est parfaite.
Le 2 juin 1912, Fête de la Sainte Trinité, l’horloge fut solennellement bénie par le R.P. de Fenoyl, avant la messe de 9 heures. Elle fut mise en mouvement aussitôt après et depuis cette époque, elle donne l’heure à la ville.
© Textes : Père Henri Boileau (1874-1966)
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